Les sondages des fédéralistes et les "pointages" des
souverainistes concordaient et établissaient le "oui"
gagnant, par une marge pas très confortable, mais sans équivoque.
Pour Chrétien, l'ancien lieutenant de Pierre
E. Trudeau,
un vétéran qui connaissait le "tabac", ou la "game",
qui avait livré tant de combats électoraux, qui était toujours
confiant de vaincre ses adversaires, qui était en quelque sorte un
"vieux singe" à qui on n'avait pas à apprendre à faire
des grimaces, le Canada était foutu...
La perspective atroce d'être
celui qui serait pointé du doigt par les historiens pour avoir été
"le" principal responsable de la "cassure" du
pays rendait le p'tit gars de Shawinigan malheureux au plus haut
point. Ce jour-là, ses ministres assistèrent à une scène qu'ils
ne croyaient pas possible de la part du combatif et énergique leader
canadien. Désespéré, désemparé, leur chef fondit en larmes
devant leurs yeux effarés... Tout semblait perdu pour le camp du
"non"...
On
connaît la suite des événements : le "non" gagna pas une
très faible majorité. Il aurait suffit que 25 000 personnes
changent leur vote pour que la victoire bascule dans le camp du
"oui", pavant ainsi la voie à la séparation du Québec
d'avec le Canada.
Le Premier Ministre du Québec, Jacques
Parizeau,
imputa la défaite de ses troupes à "l'argent et à des votes ethniques".
Faisant le post mortem de la campagne référendaire
après l'analyse approfondie de tous les résultats, les stratèges
péquistes découvrirent cependant la véritable cause de l'échec
imprévu de cette lutte serrée. Que des votes ethniques soient allés du
côté du "non", il n'y avait guère de surprise là-dedans.
C'était acquis, cela allait de soi.
Le désenchantement venait
plutôt de la majorité plus courte que prévue du "oui"
dans le bastion francophone de Québec, la Capitale Nationale.
Contrairement à tous les sondages pré-référendaires, le vote des
Québécois pour le "oui" ne fut pas assez vigoureux et
constitua en fait, le facteur décisif dans la sauvegarde du
Canada.
De
là la question cruciale qui a changé le destin de tout un peuple :
qu'est-ce qui s'est passé à Québec pour que la population modifie
son vote ? Un étudiant de l'Université Laval, en histoire, propose
une réponse assez étonnante mais difficile à prouver.
Steve
Lasorsa,
un montréalais de 25 ans, partisan avoué du Canadien de Montréal,
prétend en effet que, quelques mois avant le référendum, le refus
du gouvernement Parizeau d'aider financièrement les Nordiques de
Québec à sauver leur franchise, (ce qui a causé leur déménagement
au Colorado), a pu avoir un effet sur les résultats de l'importante
consultation populaire d'octobre 1995.
Lasorsa écrit son mémoire de
maîtrise sur la rivalité Canadien/Nordiques qui a enflammé le
Québec de 1979 (juste avant le 1er référendum sur la souveraineté
du Québec) à 1995 (au moment du deuxième référendum).
Entre
ces deux dates "historiques" les souverainistes en étaient
venus à sympathiser avec l'équipe de hockey de Québec, non
seulement à cause de son bel uniforme fleurdelysé, mais parce que,
contrairement au Canadien, identifié à l'establishment anglais des
Molson, les Nordiques affichaient un "visage" beaucoup plus
francophone dans leurs valeurs, dans leur direction et dans le nombre
plus élevé de joueurs québécois.
Pour résumer à outrance leur
vision, c'était les "rouges" britanniques (CH)
contre les "bleus" de la mère patrie. Est-ce qu'il se peut
qu'un assez grand nombre de souverainistes "nordiques",
déçus de l'abandon du club de Québec par le très montréalais
gouvernement Parizeau, aient décidé de se venger en votant pour le
"non" ou en s'abstenant de choisir le camp du "oui"
lors du référendum qui survenait presque en même temps que la
perte de leur club de hockey favori ?
Sachant l'importance que l'on
accorde ici au hockey, ce n'est pas une thèse impossible. Cela
expliquerait peut-être aussi partiellement le fameux "mystère
Québec".
Depuis 1995, en effet, les péquistes n'ont plus la
faveur des électeurs de la vieille capitale... Selon l'élève
Lasorsa : «Il
faut se souvenir que les gens de Québec ont voté moins fort pour le
OUI que le Parti Québécois ne l'avait prévu et que, quelques mois
avant le référendum, Marcel Aubut avait essuyé un refus après
avoir demandé l'aide du premier ministre péquiste Jacques Parizeau
pour sauver les Nordiques. Si M. Parizeau avait sauvé les Nordiques,
ça aurait sûrement envoyé un message puissant et, qui sait, le
résultat du référendum aurait peut-être été différent !»
Vingt-cinq ans plus tard, Mario Dumont, l'un des trois ténors du camp du «oui» en 1995, aux côtés de Parizeau et de Bouchard, abonde dans le même sens : le départ des Nordiques a changé en défaite la victoire présumée des souverainistes au référendum de 1995.
Dumont explique : «Jacques Parizeau et son entourage auraient dû avoir comme politique de garder les Nordiques à Québec à tout prix. Perdre une équipe de sport professionnel est déjà un échec et un traumatisme majeur. Mais excusez-moi, le hockey est le sport national, la fierté, l'identité. Fierté, identité ! Ce sont les premiers ingrédients si vous souhaitez bâtir un pays !»
Il
est facile et amusant de faire des suppositions et de tenter de
réécrire l'Histoire. Mais c'est également assez futile. Qui sait
si ce qu'avance Lasorsa et Mario Dumont est vraiment raisonnable ? Un autre important souverainiste, Gilles Duceppe, ancien chef du Bloc Québécois, ne croit pas à cette thèse de l'influence capitale du départ des Nordiques pour expliquer la défaite référendaire de 95.
Le départ des Nordiques a-t-il changé
le destin d'un peuple ? Difficile à dire, on en reparlera longtemps...
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