Je ne sais pas comment cela pourrait être possible, mais on devrait réhabiliter la mémoire d'un des plus grands joueurs de l'histoire du hockey, et lui faire enfin la place qui lui revient d'emblée au Temple de la Renommée du Hockey, à Toronto. Ce grand joueur, c'est le Saguenéen Jean-Claude Tremblay, qui a connu une carrière incroyable pendant onze ans, avec le Canadien de Montréal (1965-1971), et sept autres saisons exceptionnelles avec les Nordiques de Québec (1972-1979), de la défunte Association Mondiale de hockey.
Tremblay a été un joueur de défense dominant, avant-gardiste, avec une connaissance extraordinaire de la façon que notre sport national devait être joué. Comme les plus grands hockeyeurs du passé (dont Wayne Gretzky) ou d'aujourd'hui, il possédait ce 6e sens, cette vision et cette lecture du jeu, qui lui donnait un avantage sur tous les autres joueurs de son époque. Sur une patinoire, il était comme un poisson dans l'eau. Il savait quoi faire dans toutes les situations. C'était un scientifique du hockey. Ce n'est pas pour rien qu'on l'a surnommé "le magicien de la ligne bleue".
Avec le Canadien, il a remporté cinq Coupes Stanley, et avec les Nordiques, il a gagné la Coupe Avco en 1977. Seulement pour ses onze campagnes avec le CH, Jean-Claude aurait mérité sa place au Temple de la Renommée. Il a été un défenseur tellement dominant, surtout en séries éliminatoires, et dans la conquête des Coupes Stanley de la Sainte Flanelle. On estime qu'il a été privé d'au moins un, sinon trois trophées Connie-Smythe, parce que les propriétaires d'équipes, qui décernait la récompense, préféraient la donner à des joueurs plus renommés que le no 3 du CH.
Tremblay a toujours été ulcéré par cette injustice, et par le manque de reconnaissance de son équipe, et des autorités de la Ligue Nationale, à son endroit.
S'estimant injustement exploité, parce qu'il n'était pas payé à la hauteur de son immense talent et de ses exploits sur la patinoire, il a décidé de quitter le Canadien, pour se joindre au club de Québec, dans la nouvelle Association Mondiale de Hockey. Avec Bobby Hull et quelques autres gros transfuges de la LNH, Jean-Claude donnait ainsi une crédibilité à ce circuit que l'on qualifiera de "circuit maudit".
Avec sa défection du célèbre club montréalais, Tremblay doublait son salaire (à $ 140 000 par saison) avec les Nordiques. Mais son geste était jugé comme une trahison et une grave erreur par les gens de la grande ligue, et ses anciens coéquipiers du CH. Les propriétaires des clubs de la LNH étaient furieux, car les grosses augmentations de salaire consenties aux joueurs par l'AMH ont provoqué une flambée des gros contrats en faveur des joueurs professionnels. Cela leur a coûté des millions de dollars.
J.-C. Tremblay et les autres ex gros joueurs de la LNH qui avaient contribué à donner ses lettres de noblesse à la nouvelle AMH, ont été pointé du doigt et stigmatisé par les bonzes du hockey. Ces derniers ne leur ont jamais pardonnés. C'est ce qui a sans doute privé Tremblay de la place qui lui revenait de droit au Temple de la Renommée du Hockey.
Mais, presque trente ans après le décès de Jean-Claude, au trop jeune âge de 55 ans (cancer), il serait plus que temps, que cette injustice soit corrigée. Que l'on oublie les vieilles et vaines querelles du passé. Tremblay a été un grand du hockey. C'est la mission du Temple de la Renommée de le reconnaître, et de lui ouvrir ses portes, même si ce serait à titre posthume.
Même s'il ne recherchait pas les honneurs, ni être le centre d'attraction, il voulait au moins qu'on lui donne le crédit qui lui était dû. Il aurait été fier d'être admis au saint des saints. Il n'est plus vivant pour y accéder en personne, mais sa famille pourrait être honorée et fière de le faire pour lui. Il est encore temps, malgré le trop grand retard.
Le journaliste sportif Mikäel Lalancette (directeur des sports au journal "Le Soleil") vient d'écrire et de faire publier une excellente biographie au sujet de Jean-Claude Tremblay (Jean-Claude Tremblay, le magicien de la ligne bleue) aux Éditions de l'Homme. L'illustration des hauts faits de sa carrière, des témoignages éloquents de gens qui l'ont connu, mettent en lumière à la fois l'importance du hockeyeur surdoué, et la personnalité particulière de l'ancien joueur d'élite.
Le livre de Lalancette permet de sortir de l'oubli un athlète d'une force presque surnaturelle, qui a beaucoup trop passé sous le radar. Il fallait enfin lui rendre hommage pour ses accomplissements et sa contribution à notre sport national. S'il n'a pas été bien apprécié comme il aurait été légitime qu'il le soit, c'était peut-être en raison de sa personnalité.
Tous ceux que le journaliste du Soleil a consultés, et ce qu'il a pu lire à ce sujet dans ses recherches, font état du caractère "bourru et grognon" de Jean-Claude Tremblay. À la fois timide et taciturne, l'ancien capitaine des Nordiques, préférait s'isoler dans son coin, et faire grise mine aux journalistes et aux partisans. Et quand il parlait, c'était souvent pour critiquer sévèrement certains joueurs, certains dirigeants, et certains scribes !
Ce qui lui a valu des chicanes acerbes, des inimitiés, et des rancoeurs, notamment avec Maurice Richard, Red Fisher, Réal Cloutier, Gordie Howe et Guy Lafleur. Ce qui a aussi pu lui nuire pour être reconnu comme hockeyeur de grande valeur, et... pour accéder au Temple de la Renommée ! Mais si les gens et les fans du Canadien de Montréal l'ont considéré comme un déserteur et un traître, les amateurs de hockey de Québec ne savent pas à quel point Jean-Claude a porté à bout de bras leurs Nordiques, afin qu'ils survivent jusqu'à leur entrée dans la Ligue Nationale, en 1979. Sans lui, et son brio sur la patinoire, cela ne serait probablement pas arrivé.
À titre d'exemple, Mikäel Lalancette mentionne dans son livre que Tremblay est entré dans la légende en passant presque la totalité de deux parties sur la patinoire. Au cours d'un match nul, avec les Nordiques, il avait joué 63 des 70 minutes de la rencontre. Dans un autre, il avait enduré un marathon de 47 minutes de patinage ! Des exploits inimaginables dans le hockey d'aujourd'hui !
Il ne fait aucun doute dans l'esprit des joueurs qui l'ont côtoyé que Jean-Claude Tremblay a été dans la même classe supérieure que des héros comme Jean Béliveau, Maurice Richard et Guy Lafleur. Ils rappellent comment il était un magicien en maniement de rondelle, dans son intelligence suprême du jeu, et son fameux lancer "tire- bouchon" qui faisait tellement mal paraître les gardiens de buts adverses, en les déjouant.
S'il a été un joueur de défense brillant, sa brève carrière d'entraîneur a été un échec total. Certes ses connaissances approfondies du jeu pouvaient en faire un professeur formidable -il l'a été pendant une quinzaine d'années en Europe-, mais il était beaucoup trop impatient pour s'en servir à l'entraînement. Il était beaucoup trop exigeant pour les joueurs. Il ne comprenait pas pourquoi ceux-ci n'étaient pas capables de faire ce que sa surdouance personnelle lui permettait d'exécuter naturellement et facilement ! Ça le décourageait et le mettait hors de lui. Il n'était pas fait pour être coach !
C'est Serge Savard qui a écrit la préface du livre de Mikäel Lalancette. L'ancien coéquipier de Tremblay, et ex directeur général du Canadien, est bien placé pour affirmer que Jean-Claude avait toutes les qualités pour être intronisé au Temple de la Renommée du Hockey. Si Savard, et tous ceux qui ont apprécié l'illustre défenseur Québécois, pouvaient faire pression, ou user de leur influence, auprès du jury qui étudie les candidatures au Temple, peut-être que cette grave injustice à l'égard de Jean-Claude Tremblay pourrait enfin être corrigée. Et qu'il aurait la place qui lui revient, en toute équité, parmi les grands du hockey, honorés dans ce lieu sacré...